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Expositions

Le Havre, les francs-maçons & la mer

11
mai
2019
>
30
sep
2019
Abbaye de Graville

Le chanoine Alexandre-Guy (ou Gui) Pingré

Estampe de profil

Alexandre-Guy (ou Gui) Pingré est né à Paris le 4 septembre 1711. Dès ses premières années, il manifeste une vivacité d’esprit et une curiosité qui conduisent ses parents à le confier à un établissement réputé : le collège de Saint- Vincent-de-Senlis. […] Le jeune Pingré ne déçoit pas les espoirs que l’on a mis en lui et s’impose assez vite comme un élève brillant. Il se montre particulièrement doué pour les langues anciennes – latin, grec et même hébreu – ou vivantes, la philosophie et l’histoire. Une fois ses humanités passées avec éclat, au seuil de l’âge adulte, il faut choisir un état. Heureux dans l’étude et reconnaissant à ses maîtres, le 25 août 1728, il rejoint à son tour, à 16 ans, la Congrégation de France ; le voilà donc génovéfain. Toujours en classe, il passe simplement du statut d’élève à celui de maître. Ainsi, entre 1728 et 1732, il enseigne la philosophie puis la théologie à Saint-Honorine-de-Graville. […]

Lors d’un séjour à Saint-Lô-de-Rouen, il croise la route d’un savant, le chirurgien Le Cat, qui veut créer une académie dans la capitale de la
Normandie, ce qui est chose faite en 1744. Le Cat, réputé également pour ses « idées négrophiles », a besoin d’un astronome. Il invite notre chanoine à s’intéresser aux étoiles et aux planètes. À 38 ans, Pingré découvre cette nouvelle discipline et se passionne pour cette autre étude du ciel à laquelle il va dorénavant se consacrer. Esprit encyclopédique, il s’investit aussi dans l’anthropologie des Lumières qui suscite alors un vif intérêt chez les intellectuels rouennais. […] 

Ce sont cependant les compétences acquises dans le champ de l’astronomie qui font sa notoriété. Son coup d’essai est un coup de maître puisque ses calculs relatifs à l’éclipse de lune du 23 décembre 1749 se révèlent plus précis que ceux de l’astronome Lacaille. […] Sensible à cette nouvelle réputation scientifique, son ordre l’appelle à Paris et l’installe à l’abbaye Sainte-Geneviève. Il publie différents ouvrages d’astronomie et se fait une spécialité des calculs longs et complexes. […] Dès 1760, puis en 1769 et 1771, il quitte néanmoins son cabinet de travail et son observatoire parisien sur les toits de Sainte-Geneviève pour participer à quelques-unes de ces expéditions scientifiques si typiques du XVIIIe siècle. […]

Voyages lointains et exotiques qui le conduisent au coeur du Pacifique puis dans les Caraïbes pour des observations astronomiques, des relevés géographiques ou la quête d’échantillons botaniques. […]En 1769, il est nommé chancelier de l’université et, en 1772, bibliothécaire de Sainte-Geneviève. […] Alexandre-Guy Pingré va manifester le même sérieux dans son engagement maçonnique. On ne sait pas où et quand il a été initié. Il aurait été l’orateur de la loge Les Arts Sainte-Marguerite, l’une des plus anciennes de Paris (fondée en 1729). On le découvre membre d’une importante structure de hauts grades – le Conseil des Chevaliers d’Orient–dès 1763. […]En 1766, il est le vénérable fondateur de la loge parisienne L’Étoile polaire qui devient en 1775 – à la suite de sa fusion avec la loge Les Coeurs simples – Les Coeurs simples de l’Étoile polaire. […] Il participe à la fondation du Grand Orient de France entre 1771 et 1773, d’abord dans la phase de réforme de la Première Grande Loge de France comme substitut du grand orateur, puis au sein de la puissante Chambre des provinces du Grand Orient de France […]. En 1787, il est fait officier honoraire du Grand Orient de France. Durant cette période il est le député de quatorze loges au sein de l’obédience.

Ses fonctions au sein de la Chambre des provinces en font un des hommes clefs de la construction du Grand Orient dans les années 1770. […] De l’avis unanime, le chanoine Pingré s’acquitte avec zèle, intelligence et tact de cette difficile mission. Il s’occupe particulièrement de cette Normandie qu’il connaît bien et arrive à rétablir la paix et l’harmonie entre les loges à Rouen… et même au Havre !

Après cette vie bien remplie, notre « chanoine savant et gyrovague » s’éteint paisiblement au retour d’une séance de l’Académie des sciences le 1er mai 1796.

Pierre Mollier,
Conservateur du Musée de la franc-maçonnerie

Le marquis de La Fayette

Pastel ovale de Lafayette en uniforme de commandant de la Garde nationale par le peintre strasbourgeois Jean- Baptiste Weyler (1747-1791)

Marie-Joseph-Paul-Yves-Roch-Gilbert du Motier, marquis de Lafayette, naît le 6 septembre 1757 au château de Chavaniac, (Haute- Loire). Il n’a pas 2 ans lorsque son père (1732-1759), jeune colonel de brigadiers âgé de 27 ans, est tué à la bataille de Minden (Westphalie) sous l’assaut anglais. […] Sa mère (1737-1770) est la fille du marquis de la Rivière, capitaine lieutenant des mousquetaires noirs, député aux États de Bretagne. Elle […] s’installe à Paris et se rend régulièrement à la cour. Son fils la rejoint à l’âge de 11 ans pour suivre une formation militaire au prestigieux collège du Plessis rue Saint-Jacques, puis rentre dans la deuxième compagnie des mousquetaires noirs du roi. À l’âge de 13 ans, à quelques jours d’intervalle, il perd sa mère et son grand-père maternel. […]. Jean-Louis-Paul-François de Noailles, duc d’Ayen, le prend sous sa coupe et assez vite le nomme sous-lieutenant au régiment de Noailles. Alors qu’il n’a que 16 ans et huit mois, les familles s’accordent pour le marier à la seconde fille du duc, Marie Adrienne Françoise de Noailles, alors âgée de moins de 15 ans. […].

Louis de Noailles, son beau-frère avec lequel il a de grandes affinités, pourrait être son présentateur, c’est-à-dire celui qui lui a permis d’entrer en maçonnerie. Lafayette est compté à 18 ans, en décembre 1775, parmi les frères visiteurs de la loge Saint-Jean à l’Orient de Paris, sous le titre La Candeur. […]. C’est à Metz, dit-il dans ses Mémoires, lors d’un dîner chez le comte Charles Louis Victor de Broglie (1756-1794), lui-même maçon de la loge Les Vrais Amis, qu’il entend parler de l’indépendance des colonies américaines. […]. Ce soir-là, sa décision est prise, Lafayette s’engage auprès des insurgents. […]. Benjamin Franklin […] encourage le jeune et fortuné Lafayette, à armer à ses frais le petit navire La Victoire. Contrairement à ce qu’il dit dans ses Mémoires, le bateau ne semble pas lui appartenir et avoir surtout bénéficié des financements du comte de Broglie, ancien chef du cabinet secret de Louis XV. […]. Le bateau part clandestinement de Bordeaux en avril 1777[…].

En juillet 1777, Lafayette se rend à Philadelphie afin de rencontrer Washington, le plus riche propriétaire de Virginie. Une grande amitié naît entre les deux hommes. L’un a tout juste 20 ans, le second 45. […]. Avec un conflit qui dure et un aller-retour vers la France, le combat continue pour Lafayette. La bataille de Yorktown met fin au conflit. […]

Lafayette et Le Havre

L’année 1779 est une année heureuse pour le général Lafayette, rentré
d’Amérique en février 1779. Il est reçu triomphalement à Brest. Après un détour par Versailles pour recevoir des ordres, il arrive au Havre en tant que commandant du régiment des dragons du roi, […]. Lafayette va et vient entre Paris et Le Havre, où il réside chez M. Cadran, […]. Cette maison dite « La Romaine » est aujourd’hui détruite, mais l’immeuble d’Auguste Perret qui la remplace porte une plaque rappelant ce souvenir. […]. 

Le 27 août, le petit-fils de Franklin arrive au Havre pour lui remettre une
épée d’honneur. Il est annoncé par son grand-père, qui écrit le 24 août de Paris : « Le Congrès, pénétré de reconnaissance pour votre conduite envers les États-Unis, mais se trouvant dans l’impossibilité de vous récompenser selon votre mérite, a pris la détermination de vous présenter, comme une faible marque de sa profonde gratitude, une épée ornée de devises. »

[…]. L’année 1779, se termine par un merveilleux cadeau, la naissance de son fils pour Noël. Il se prénomme George Washington.

En 1780, Lafayette quitte Le Havre pour un second voyage à bord de L’Hermione qui part de Rochefort le 10 mars. Les officiers qui l’accompagnent sont frères maçons. 

La bibliothèque du Havre possède des lettres autographes de Lafayette
provenant de la famille des manufacturiers Holker affiliée aux Dubocage de Bléville, corsaires et négociants havrais. John Holker est consul à Philadelphie. L’une des lettres de Lafayette à Holker est écrite sur le Susquehanna Ferry, qu’il faut emprunter pour rejoindre la propriété de Washington depuis Philadelphie. De nos jours, la petite ville près de l’embarcadère s’appelle « Haver dee Grass ». […] Par tradition historique, il est dit que c’est lui qui l’a nommée ainsi par comparaison avec les rivages de la ville du Havre. […] 

Après des années, éloigné du Havre, Lafayette revient le 12 juillet 1824 en soirée. Il est invité par le président Monroe, ancien officier de la guerre d’Indépendance, pour un voyage triomphal et choisit d’embarquer au Havre. Il aime cette ville, lui est fidèle et sait qu’ici, les libéraux sauront lui faire honneur. […] un navire américain, Le Cadmus, dont le consignataire est le négociant franc-maçon Quesnel, attend en rade pour l’emmener. […] Il est 22 h 30. Lafayette est accueilli chez M. Philippon, […]. Le lendemain matin, 13 juillet, aux alentours de midi, il prend place à bord du vaisseau américain. Les quais sont couverts des républicains et amis venus l’acclamer : « La bonne ville du Havre nous a fait entendre de doux accents d’adieu du rivage français. Ils sont profondément gravés dans mon coeur. »
Après un voyage triomphal […] il choisit de rentrer en France par Le Havre, où sa famille l’attend. M. Laroche est leur hôte. Lafayette revient donc en toute liberté, acclamé. Il reprend une activité politique qui resserre ses liens avec une franc-maçonnerie très opposée à Charles X. À Paris, il est accueilli le 15 janvier 1830 au sein des Trinosophes, l’une des loges les plus politisées de la capitale. Dans ce contexte, lorsque triomphe la Révolution de juillet 1830, le Grand Orient organise, le 6 août, une fête maçonnique en son honneur, qui conduit les francs-maçons du Havre et de Rouen à envoyer des délégations. Dans ce bel enthousiasme maçonnique, le Suprême Conseil de France ne veut pas être en reste. Après avoir agrégé Lafayette à l’éphémère loge des Trois Jours (qui le fait vénérable d’honneur), la jeune obédience le fait entrer en effet dans son sein, le 21 novembre 1831. Redevenu député à cette date, il est l’une des figures du Mouvement, le groupe le plus maçonnisé de la Chambre des députés. 

Lorsqu’il meurt, en mai 1834, on comprend pourquoi les frères de La Rose du Parfait Silence déploient leur bannière en hommage à celui qui a porté haut les idéaux de la franc-maçonnerie.

Elisabeth Leprêtre
Conservateur en chef des Musées d’Art et d’Histoire